Mon compagnon de voyage en Inde ne pouvait pas dormir lumières éteintes. Il remuait tant avant de s’endormir qu’il faisait bouger le lit, l’ordi allumé à côté de sa tête… Des femmes nues couvertes de merde des pieds à la tête…

Si quitter ce monde est une réalité aussi forte que l’aimer, alors il doit y avoir une signification dans les rencontres et les séparations de la vie.

Rabindranath Tagore

L'Offrande lyrique

Article mis à jour et modifié en juin 2021

Le compagnon de voyage idéal

Aujourd’hui je voudrais vous raconter mes aventures avec mon compagnon de voyage. J’y ai fait allusion dans mon précédent article.

Trois raisons m’ont conduit à chercher quelqu’un pour m’accompagner dans mon périple : La peur de l’aventure en solitaire, l’envie/besoin de partager au quotidien mon émerveillement et mes désillusions, voire mes mésaventures.

J’ai d’abord passé une annonce sur un forum de voyageurs notoire, sans d’autre précision que « cherche compagnon/compagne de voyage, etc… »

Le sexe féminin s’est précipité au portillon. Quelle rigolade ! J’ai eu tous les cas possibles : depuis la petite jeunette qui meurt de peur de partir seule en Inde et qui a besoin d’un « papa-protecteur » jusqu’à la dame qui cherche plus un compagnon de lit qu’un compagnon de voyage, en passant par celles qui espéraient le gars qui allait tout payer pour leurs beaux yeux : chambre, restau, taxi, etc…

Alors j’ai enlevé « compagne ». Et là presque même scenario avec les mecs, jusqu’à ce qu’un homme apparemment très sympathique me contacte en me disant qu’il était un passionné de photo.

A partir de là nous avons échangé des dizaines et des dizaines de courriels car il me disait être dans l’impossibilité de venir passer un week-end chez moi parce qu’il travaillait. Et quand je lui ai proposé d’aller le voir, il m’a répondu : tu peux venir mais tu seras seul, car je travaille 6 mois par an pour voyager, et donc les 6 autres mois je bosse dur et même le week-end.

Nous avons longuement parlé de nos goûts en matière de voyage et en général aussi. Je lui disais entre autres que j’aimais particulièrement être en communion avec la Nature, que j’étais un peu sauvage, solitaire, et anticonformiste. A quoi il m’a répondu que lui l’était aussi – anticonformiste -. Je ne me rappelle plus la teneur de son message, mais je me souviens parfaitement de son expression : « j’affectionne les chemins peu fréquentés qui sentent bon la noisette et le chocolat. »

Nous avions apparemment plein de points communs et d’atomes crochus pour voyager ensemble, sauf que lui était plutôt un aventurier décidant au jour le jour et moi plutôt du genre à bien regarder où je mets les pieds et planifier à l’avance.
Il trouva cela tout à fait à sa convenance, me disant qu’il s’en remettait à moi pour tout, qu’il me donnait carte blanche pour tout organiser : le circuit, la gestion des étapes (hôtels/restaurants), et les moyens de locomotion.

J’avais finalement trouvé le compagnon idéal !!!

Le city market à Bangalore

Je ne reviens pas sur les raisons qui m’ont conduit à changer d’avis et à renoncer à sa compagnie. Vous pourrez le savoir ici.

Le lendemain matin de mon arrivée à Bangalore, réveil en fanfare par sonnettes et grands coups  de poings ou pieds dans la porte (j’avais mis des boules Quies). C’était ce cher Roger qui avait retrouvé miraculeusement mon hôtel et mon nom qu’il me disait avoir oubliés. Je n’ai pas eu le courage de le renvoyer.

Mais il a eu droit à un accueil glacial. Je sais bien faire.

Nous sommes très vite partis visiter le city market et nous nous sommes retrouvés dans l’Inde vraie et authentique, sale, grouillante et animée.

Déjà elle opérait son charme car j’étais aux anges et je me détendis. Je ne lui faisais plus grise mine. Nous avons passé là de longues heures au milieu des odeurs, des couleurs, des cris, du bruit, et de la foule aussi. Un régal !

Je découvre mon compagnon de voyage

Mais déjà Roger commençait à faire pression pour que nous partions le lendemain au lieu du jour suivant car il ne trouvait pas Bangalore intéressante. Mais comme  j’étais las de la ville et du bruit j’acceptai sans rechigner.

Seulement nous n’étions pas d’accord : lui voulait partir en train, alors que nous n’avions pas de réservations, ce qui, en Inde est synonyme de galère en perspective, et moi je souhaitais prendre un bus. Il désirait passer une nuit  à Vellore (étape non prévue dans mon projet). J’acquiesçai à nouveau.

Nous avons voyagé pendant quatre heures, debout, dans la chaleur d’un train absolument bondé. (Pas blindé, s’il vous plaît, qui ne veut rien dire dans ce sens. Un coffre-fort est blindé mais un bus est bondé.) Enfin, nous avons débarqué à Vellore où Roger recommença à se montrer insupportable dans ses négociations avec les rickshaws pour… 5 roupies.

Avec une apparente douceur, beaucoup de bienveillance et de sollicitude, il m’imposait ses convictions et ses propres façons anarchiques de voyager, déboulonnant un à un les différents éléments de mon projet. Il était le genre de personnage  qui prend systématiquement le contre-pied de ce que vous lui dites, quel que soit le sujet. Il ne cessait de critiquer mon itinéraire et la durée des étapes. Son comportement avec les rickshaw me faisait horreur. De même avec les gens, en particulier les enfants dans la rue. Tantôt plein de sourires, tantôt odieux, il criait, et les rabrouait sans ménagements et les enfants étaient décontenancés par cet accueil à leur enthousiasme. Il me faisait honte.

Roger ne peut pas dormir si la lumière est éteinte

Nous sommes partis pour Mahabalipuram. Là je remarquai deux comportements surprenants. Je m’aperçus qu’il ne pouvait pas dormir lumières éteintes. Chaque fois qu’il semblait endormi, je me levais et éteignais. Mais j’étais réveillé un moment après par la lumière, car lui l’avait été par l’obscurité et s’était levé pour rallumer. Le deuxième agissement étonnant était qu’il remuait beaucoup avant de s’endormir et tant, qu’il faisait bouger le lit. De plus, la lumière de son ordinateur me dérangeait, car il le lui fallait toujours, allumé, posé sur une chaise à côté de sa tête.

La veille du départ pour Tiruvannamalai il commença à chicaner. Il préconisa un plan extrêmement précaire et fatiguant : cinq heures et demie de voyage en bus avec changement, contre deux heures et demie en voiture, pour nous y rendre. Je coupai court à la discussion. Je n’avais pas envie de me gâcher cette belle fin de séjour. Je sortis réserver un taxi, et lui dis au retour : « Je pars demain à 8h30 en voiture. Si tu veux venir, tu viens. Si tu ne veux pas, tu prends le bus. » Et comme il recommençait à couper les cheveux en quatre, je sortis me promener en pensant : après Tirruvanamalai, une fois arrivé à Pondichery, je le largue.

Nous avions fait un pot commun pour les dépenses jusqu’à Pondichéry et il contrôlait sans cesse le prix de mes plats pour que je ne dépasse pas mon « quota » du pot commun. L’ambiance au restaurant devenait de plus en plus lourde.

Non, mais allais-je avoir enfin un peu d’autonomie et de liberté ?

Les chemins qui sentent bon la noisette et le chocolat

A Tiruvannamalai son comportement pathologique empira. Il se montrait vraiment caractériel, passant de la douceur d’un agneau à une terrible agressivité tant avec moi qu’avec les Indiens dans la rue qui décidément n’y comprenaient rien.

La deuxième nuit, je me levai une fois de plus pour éteindre la lumière et aller aux toilette quand j’aperçus des images bouger sur son écran d’ordinateur. Au retour, en passant, je regardai machinalement.

Vous êtes assis ? Prêts à lire sans tomber ?

Je découvris des femmes nues couvertes de merde presque des pieds à la tête, qui la pétrissaient et en enduisaient les mecs à poil avec lesquels elles baisaient !!! C’était à vomir. J’eus presque la sensation de sentir l’odeur monter à mes narines.

Oui, oui, je regardai avec insistance car nous étions en pleine nuit et je me demandai si je ne rêvais pas.

Vous comprenez pourquoi le lit bougeait tant avant qu’il s’endorme ? Et pourquoi il lui fallait l’ordinateur sur la chaise à côté de lui ?

Je reprends la route seul et… ma liberté

Le lendemain, je ne pus m’empêcher de lui dire mon écœurement. Que me répondit-il ?

– Et alors ? Je t’avais bien dit que j’affectionnais les chemins peu fréquentés qui sentent bon la noisette et le chocolat. Tu n’avais pas compris ?

Je restai sans voix. Ben non, je n’avais pas du tout compris.

Puis nous sommes partis à travers la ville, chacun de son côté. Je le rencontrai dans un débit de thé où il m’agressa violemment à propos d’un trajet en rickshaw que nous devions faire ensemble et me parla comme à un chien.

La coupe était pleine, je n’attendrais pas Pondichéry pour le larguer !

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire j’appelai la guesthouse de Pondichery pour savoir s’ils pouvaient me loger le soir même et m’envoyer un taxi tout de suite pour venir me chercher. Deux heures de trajet je pensais. Le bonheur pour moi qu’il regagne la chambre et que je sois parti sans un mot d’explication!

Cela me coûtait une nuit de plus à Pondichéry et 1700 roupies de taxi, mais la liberté n’a pas de prix. Ouf !!! Finie la galère avec le Français. Bien pire que celles que je redoutais avec les Indiens avant mon départ.

J’allais enfin me détendre et profiter pleinement de mon voyage.

Cela m’aura au moins enseigné une leçon : jamais, plus jamais, je ne voyagerai avec un inconnu rencontré sur un forum !!!

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