Mémorable franchissement du Rothang Pass
Le diaporama photos se situe tout en bas de la page à la suite du texte
Ce matin, lever à 5h pour un départ à 6h, petit déjeuner escamoté vu l’heure matinale, crevé après une nuit sur un mince matelas de crin, sur une planche, le dos en compote. Nous venions de quitter le Jammu et Cachemire à notre arrivée à Keylong et étions entrés en Himachal Pradesh. Et donc… la mousson !!! Nous avons franchi le vertigineux col du Rothang Pass ou Rothang La – Pass et La signifiant col selon qu’on est en Himachal Pradesh ou au Ladakh -dans des conditions épouvantables de véritable terreur. Là, la route de terre détrempée par la pluie, n’était plus qu’un long et sinueux bourbier dans lequel les roues du camion s’enfonçaient, dérapaient, chassaient tandis que nous faisions du slalom entre les blocs tombés sur la chaussée. Pour parachever l’aventure, la route, par endroits, s’était effondrée complètement. A d’autres, d’énormes trous laissaient supposer que ça ne tarderait pas à se produire.
Nous étions tous là, confiant notre vie à notre chauffeur, alors que dans les mêmes circonstances le bon français râleur aurait hurlé au scandale que le transporteur ait accepté de prendre la route. Et d’ailleurs chez nous, une route si dangereuse ne serait pas ouverte à la circulation, au nom du sacré saint principe de précaution. Bien sûr le tangage s’était accentué et lorsque nous frôlions le précipice je me disais que la moindre faute du chauffeur nous précipiterait au fond. Et Johny qui ne manquait pas de me montrer les camions ou bus, à nouveau, écrasés tout en bas, si loin que je ne les avais même pas vus.
Un cri de frayeur à chaque virage ? Mais un cri de stupeur et d’émerveillement à chaque image surgie sous nos yeux.
Une de nos premières émotions fut de devoir dépasser un camion en panne alors que l’espace était à peine suffisant, en frôlant le précipice.
Mais un peu plus tard, un peu plus loin, alors que nous étions tout au bord du ravin sur notre gauche, le bus a dérapé et tangué très fort … du côté gauche. L’espace d’une seconde bus et temps se sont immobilisés, suspendus dans un avenir plus qu’incertain. J’ai cru ma mort – horrible – arrivée. Et cette fois je n’étais plus le seul, car un silence de mort – c’est le cas de le dire – a lourdement pesé soudainement dans le bus, suivi d’une sorte de râle/grognement sourd collectif, pas un cri, non, vraiment un râle de chien qui crève.
Et la fraction de seconde où nous pensions tous terminer notre vie au fond du ravin, le bus s’est redressé et s’est éloigné sur la droite, suite à une habile manœuvre de dernière extrémité d’un chauffeur expérimenté.
Je devais être vert.
Je me suis tourné vers Johny, nos regards se sont croisés.
Je n’oublierai jamais ce regard-là.
Il a poussé une espèce de soupir énorme qui m’en a dit plus qu’un discours sur ce que lui aussi avait ressenti.
Une nouvelle seconde de silence, meublée de soupirs et de grognements en suspension, puis éclat de rire général.
Nous en avions réchappé.
Ce qui m’a le plus frappé après coup c’est ce silence absolu à la seconde même où nous nous sommes tous vus basculer dans le ravin.
Je me suis souvenu du témoignage d’une hôtesse rescapée d’un accident d’avion dans lequel avaient péri de nombreuses personnes. Elle parlait de ce silence terrible dans l’avion.
Elle disait :
– Je crois qu’à cet instant les gens savent qu’ils vont mourir. En quelques secondes, ils pensent à leurs proches, leurs familles, leurs enfants, leurs amoureux. Ils voient le film de leur vie repasser en accéléré.
Beaucoup doivent prier.
Chacun porte quelque chose en soi qui empêche de crier.
Puis, au comportement des chauffeurs, à leurs prières au Ganesh installé sur le tableau de bord, à leur rire nerveux et à leur tête aussi, nous avons compris que nous avions tous été unis, eux compris, dans cet instant terrible où l’on se voit mourir tragiquement.
Mais c’était sans compter l’aide de mon – nos – protecteurs célestes qui qu’ils soient, qui ont donné le bon coup de volant salvateur à travers les mains du chauffeur. Oui, je sais, certains vont penser : ah, le voilà encore reparti dans ses croyances mystiques. Ben oui, j’ai déjà échappé à la mort trois ou quatre fois par accident ou maladie de façon miraculeuse alors je suis bien ancré dans ces foutues convictions, même si le doute ne me quitte jamais totalement non plus
Mes éternelles contradictions.
On croit, on croit, on dit qu’on a la foi, et pourtant au dernier moment on crève de trouille. Donc c’est bien que cette foi n’est pas si intense qu’on le dit ou qu’on le croit. Sinon, on n’aurait pas peur du tout, non ?
A chaque fois où La Dame à la Faux n’a pas voulu de moi, une petite voix intérieure m’a dit : c’est pas encore le moment, tu n’as pas fini ton travail… Par moments, j’en ai marre de travailler –sur moi -. J’aimerais que ça s’arrête une bonne fois. Un vieux lama au Zanskar m’a dit que je mourrai à 113 ans. Je n’ai pas compris s’il voulait dire 103 ou 113… Je lui ai fait répéter et à chaque fois j’ai entendu 113. Il y a aussi ces quelques rêves hors du commun que j’ai faits à une époque de ma vie et que Jung nomme les Grands Rêves.
Ouh là-là-là, ça va être gai si ça se réalise !!!
La halte au Rothang Pass a revêtu une signification toute particulière pour bien des passagers hindous. Et l’équipage du bus s’est délesté d’une sacrée offrande aux dieux.
Après cet épisode, le reste du parcours jusqu’à Manali nous a paru serein. Ce jour-là je me suis promis de ne plus jamais rejoindre Leh, si j’y retournais, autrement que par avion.
De retour en France, en voyant les photos, je me suis dit :
Retourner à Leh en avion ? Sûrement pas, il faut que je revoie ça une nouvelle fois !!!
De fait j’ai repris ce trajet deux fois cette année, avec presque les mêmes frayeurs, ce même temps de merde, dans un pareil bourbier. Sauf que j’ai été puni de mon masochisme car le temps était si mauvais que je n’ai pratiquement rien vu de ce paysage que ne peuvent imaginer nos yeux de français. J’ai repensé à une réflexion d’Alexandra David Néel disant en substance : on peut aller se rhabiller, nous, avec nos Alpes et nos Pyrénées quand on contemple la majesté et l’immensité des vallées et des sommets himalayens.
Le tunnel sous le Rothang Pass est attendu avec impatience par les autochtones car il va leur ouvrir la porte sur l’Inde et la liberté, enclavés et isolés, prisonniers du froid, qu’ils sont de novembre à mai, à cause de la route barrée par la neige. Toutefois j’ai appris cette année à mon dernier passage à Keylong, que son ouverture a encore été retardée jusqu’en 2019. Les ingénieurs et les ouvriers ne cessent de se heurter à l’eau qui inonde le chantier au fur et à mesure qu’ils creusent et détournent le flux.
Bonjour Marien, je vois que nous avons bien des souvenirs communs et que passer le Rothang Pass en temps de mousson est toujours aussi galère… la dernière fois j’ai attendu 14 h que le col soit dégagé de la coulée de boue… Immense queue, mais il y avait du spectacle pour la journée !
Superbes les photos ! par contre lire ton texte avec la photo en fond ce n’est pas très facile et pas très encourageant pour une lecture suivie. Y a t-il un autre moyen d’avoir le texte « dégagé » ?
Et c’est toujours le plaisir de te rencontrer dans les commentaires quelque part sur VF !
Merci pour ce sympathique commentaire.
Concernant ta remarque sur l’écriture sur fond de photo j’avais jugé que c’était lisible et j’avais testé avec des copains. Mais ta remarque est judicieuse je vais voir ce que je peux faire mais pas tout de suite car je viens juste d’arriver dans ma maison du Kerala et je dois reprendre mes marques et remédier aux soucis causés par la mousson.
Je vais essayer de tenir compte de ces observations concernant la lecture.